Projet
Les objectifs du projet
« Si cette publication Facebook vous rend heureux, veuillez cliquer ici! ». « Si vous n’êtes pas d’accord avec cet inconnu sur X (anciennement Twitter), dites-le là! ». Ces injonctions à « aimer » des contenus, à réagir, commenter, partager, font partie de notre quotidien connecté. Elles se font d’autant plus pressantes lors de mobilisations sociales de grandes ampleurs quand nous voulons partager nos ressentis dans un flot continu de messages.
Nos « likes », nos :), et toutes les émotions que nous exprimons en ligne participent alors aux stratégies affectives des plateformes dites de médias sociaux. Ces stratégies nécessitent le développement d’un ensemble de technologies émotionnelles pour analyser ce qui nous émeut (Alloing et Pierre, 2017) afin de favoriser le ciblage publicitaire. Twitter dépose dès 2007 un brevet pour analyser les « sentiments » (US8862591.B2), Facebook (Meta) prétend pouvoir manipuler les humeurs de ses usagers (Kramer et al., 2014), et Zoom souhaite reconnaître leurs émotions (Kay, 2022). En d’autres termes, ces stratégies affectives produisent des effets sur notre cohésion sociale, notre manière de nous informer, ou de débattre, lorsque nos affections deviennent le moteur de ce que nous lisons ou discutons en ligne.
Le projet « Émotions, communication numérique : enjeux et stratégies » (EMOTICONES) s’intéresse alors au lien entre les technologies que les plateformes Facebook, Instagram, YouTube, X et Tik Tok mettent à disposition pour signaler ou exprimer ce qui nous affecte (boutons, émojis, commentaires), le traitement des données qu’elles collectent, et les possibles conséquences sur la polarisation du débat public de leur implémentation progressive ces 10 dernières années.
Le projet EMOTICONES souhaite ainsi répondre à la problématique suivante : dans quelle mesure les stratégies affectives des plateformes de médias sociaux orientent-elles nos pratiques de communication? L’objectif central est de modéliser ces stratégies affectives par l’analyse des technologies développées par plusieurs plateformes (à quelles données ont-elles recours?), l’étude des discours qui accompagnent l’usage de ces technologies (quelle utilité leur est attribuée?), l’évaluation de leurs effets sur les pratiques communicationnelles en ligne (polarisent-elles le débat public?) pour finalement envisager leur régulation collective (comment accompagner à leur usage voire leur contournement?). La problématique s’appuie ainsi sur les trois objectifs de recherche suivants :
- Cartographier, par l’étude de leurs brevets et publications scientifiques, les technologies affectives auxquelles les plateformes dites de médias sociaux comme Facebook, X et TikTok ont recours pour inciter au partage des émotions (design des interfaces, fonctionnalités) et pour les traiter (sentiment analysis, reconnaissance d’images, algorithmes, etc.). Les brevets, par leur structure discursive, permettront d’analyser les définitions données aux émotions, les types de données collectées, les usages auxquelles elles doivent répondre, les traitements envisagés et la valorisation attendue ;
- Analyser les discours des plateformes au travers de leurs argumentaires commerciaux, de leurs conditions et règles d’utilisation, pour circonscrire les promesses et imaginaires d’un traitement des émotions des usagers ;
- Évaluer les effets sur le débat public au Canada francophone et anglophone de l’emploi et du traitement des signes et des fonctionnalités affectives (émojis, #mots-clics, GIFs, émoticônes, autocollants) au travers de l’étude longitudinale de trois cas de mobilisation sociale numérique (#Metoo, #Blacklivesmatter et #Convoidelaliberté) pour analyser leurs usages, triangulation de résultats et confrontation de ceux-ci lors d’ateliers participatifs avec des acteurs communautaires et institutionnels.
La production d’un guide d’évaluation des données affectives, d’une modélisation de ces stratégies de captation des émotions, ainsi qu’un état des lieux de leurs effets sur le débat public, sont les finalités concrètes de ce projet. Là où les résultats scientifiques intéresseront les chercheurs par le développement des questions affectives dans les recherches en communication, ces productions favoriseront aussi la transmission des résultats à d’autres acteurs centraux de l’économie numérique : les acteurs institutionnels pour l’encadrement de la collecte de données affectives et de leur traitement, les organismes communautaires et les enseignants universitaires dans une optique d’éducation à la citoyenneté numérique favorisant la régulation collective de l’espace public numérique. Ce projet participe ainsi à fournir des pistes de solution à la demande sociale d’apaisement du débat public en ligne et à celle d’une meilleure protection de notre vie privée.
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Ce projet est financé par les subventions savoir du CRSH (2023 – 2027). Nos données sont reproductives et ce projet s’engage à respecter les principes de reproductibilité scientifique. Toutes les méthodologies, les sources de données et les outils utilisés sont documentés de manière transparente afin de permettre leur réutilisation et leur vérification par d’autres chercheurs et chercheuses.